"Splendid's" de Genet à l'espace Beckett le 14 décembre

Dans le cadre du Centenaire de Jean Genet, ultimes répétitions de la pièce : Splendid’s à la salle Beckett de Tanger.

Genet écrit Spendid's en 1949

Cristèle Alves Meira, est sur tous les fronts !!!

Cristèle Alves Meira

Ce petit bout de femme, lumineuse, d’une énergie sans pareille, a choisi de mettre en scène la pièce de Jean Genet : « Splendid’s » Pièce moins connue du public car elle ne fut publiée qu’en 1993 :

Entre ciel et terre, au septième étage d’un hôtel de luxe, le « Splendid’s », sept gangsters rejoints par un policier en rupture de légalité, défient l’ordre public : ils ont enlevé dans les salons la fille d’un millionnaire américain et réclament une rançon. Dans un moment d’inattention, l’un des bandits a malheureusement serré de trop près l’otage qui a  » succombé par erreur « . Telle est la trame de cette fausse pièce policière qui vire avec le plus grand naturel du roman noir au numéro de travesti, chant de la transgression et de danse funéraire, plus ouvertement que les autres oeuvres de Genet, elle est de part en part traversée par un rire.

L’agent littéraire américain de Genet, Bernard Frechtman, eut dès 1949 une dactylographie de « Splendid’s » entre les mains. Dans une lettre (en anglais) adressée à un éditeur de Grove Press, il écrivait le 12 mars 1953 à propos de la pièce :  » Je l’avais lue avec enthousiasme et en avais parlé quelques jours plus tard avec Sartre à qui Genet avait donné un exemplaire.  » Sartre était également enthousiaste et la trouvait encore meilleure que Les Bonnes.

« Genet pose une nouvelle fois la question de l’identité et ses corollaires, l’image et le reflet. Dans une atmosphère pleine de menace et de malaise, les rôles s’explosent et les masques tombent. L’apparence est bien au cœur de la pièce, avec les thèmes chers à l’auteur de l’ambigüité sexuelle (« Cette nuit, les gars, je deviens la fille qui mène le combat », annonce Bravo) et du travestissement (« Je passe du flic au gangster, je me retourne comme un gant, je vous montre l’envers du flic, gangster » dit le policier). »   Barbara Petit

Comment est né ce projet ?

Cristèle Alves Meira a fondé une compagnie à Paris: la Compagnie ARTSENSAC qui se produit au théâtre de l’Athénée. Elle rencontre, un jour, Bruno Ulmer, réalisateur de films possédant une maison à Larache qui lui parle du centenaire et des rencontres qui auront lieu là bas autour du café Lixus et c’est parti !!!!

Trouvant aide et accueil de la part de l’Institut Français de Tanger Tétouan, ce projet devait être soutenu par Pierre Bergé qui malheureusement s’est désisté, mais a pris son essor malgré tout avec un bel enthousiasme et la conviction de toute la troupe.

Important : Créée et présentée  au Maroc, cette pièce sera traversée volontairement par la langue arabe. L’ équipe est bilingue, les acteurs, (tous excellents) sont  marocains pour Hicham et français  pour les autres mais plusieurs nés au Maroc, une traductrice d’Agadir Zohra Makach.

L’hôtel du Splendid’s est donc situé pour l’occasion au Maroc et c’est une nouvelle lecture inédite de l’oeuvre qui sera proposée ce qui lui donnera, espère Cristèle, une portée et un accès plus populaires… et elle le souhaite ardemment !!!

« Splendid’s » devient également une pièce d’actualité (sous couvert de l’imagerie du gangster, film noir des années cinquante, elle évoque aujourd’hui la délinquance, les prises d’otage, le terrorisme avec le symbole fort de l’américaine qui prend aussi une nouvelle dimension, l’après  11 Septembre …)

Un souci : les fausses mitraillettes, répliques exactes de kalachnikov, sont retenues à la douane et hier encore aucune intervention n’était arrivée à les en faire sortir…

Souhaitons à cette troupe tout le succès qu’elle mérite !

Aïch Bengio


Traduction du français en arabe Zohra Makach

Costumes Benjamin Brett

Lumières Anthony Marlier

Univers sonore Nicolas Baby

Avec Cédric Appietto, Nébil Daghsen, Mehdi Dehbi, Tewfik Jallab, Hassan Koubba, Hicham Ouaraqa, Jean-

Emmanuel Pagni, Lahcen Razzougui, Hala Omran (voix de la radio).

Représentations :

Le 10 Décembre : première  à Fès  à l’Institut Français

Le 13 à Tétouan à l’institut Français

Le 14 à Tanger, salle Beckett

Le 19, date anniversaire du centenaire Genet, à Larache

Elle se produira après à Paris dans le courant de cette année au Colombier, puis en 2012 à L’Athénée.

Note d’intention

“Je ne connais pas de voyous qui ne soient des enfants” Journal du voleur, Jean Genet

Tout commence au Maroc et plus particulièrement à Tanger, celle que Jean Genet appelait la ville des traîtres. Nourrie par l’imaginaire des films d’espionnages et de romans d’aventures, elle passe pour être le repère des brigands et de la prostitution. L’hôtel Minzah, le Café de Paris, la librairie des Colonnes, le Café Hafa, autant de lieux qui témoignent de la relation de Genet à ce port. C’est sous l’étiquette “travailleur immigré” que sa dépouille mortelle a atterri sur le sol marocain en 1986. Elle repose aujourd’hui à Larache, petite ville abandonnée de la côte atlantique du Maroc, dans un cimetière qui fait face à la mer, en haut d’une falaise. Un cimetière bordé d’une prison et d’un ancien bordel. Ainsi, l’enfant abandonné a trouvé une terre d’accueil et a fait don de son corps à la Méditerranée. Des étrangers du monde entier viennent en pèlerinage se recueillir sur sa modeste tombe. Celui que l’on a nommé Saint Genet est désigné ici Sidi Gini. La rencontre de Genet avec le monde arabe – à travers ses amants et ses amis, son engagement pour la cause palestinienne et pour la défense des travailleurs immigrés en France, ses nombreux séjours au Maroc – a été essentielle aussi bien dans sa vie que dans l’évolution de son œuvre. En effet, le monde arabe a joué pour Genet un rôle de passeur. Il lui a permis d’inventer une nouvelle poésie, où l’Occident et l’Orient, l’Arabe et le blanc disparaissent pour qu’émerge un ordre nouveau dégagé de tout enfermement identitaire. Pour le centenaire de sa naissance une dizaine d’artistes se réuniront à Larache pour lui rendre hommage. Le contexte idéal pour donner à l’œuvre de Genet la possibilité de s’exprimer en langue arabe et lui offrir de nouvelles résonances. Un point de départ au voyage de Splendid’s entre le Maroc et la France.

Nous choisissons donc de planter le décor de « Splendid’s » au Maroc. Concrètement, le personnage du Policier, qui incarne les forces de l’ordre, est joué en arabe et français par un comédien marocain et la voix de la radio, qui représente les médias, est en arabe classique. Le public encercle l’espace de jeu à l’image de la foule cernant l’hôtel de luxe dans lequel les voyous sont prisonniers. Leur territoire se limite à un carré scénique exigu à la fois ring et purgatoire. Les regards intrusifs des spectateurs exhalent la promiscuité de leur huis clos. Accablés par une chaleur caniculaire, ils errent dans l’espace dépouillé où seuls résonnent la radio et le bruissement d’un ventilateur. Ils jouent aussi bien “à être cette nuit les gangsters [qu’ils n’ont] jamais été” qu’à ruiner leur image, à devenir autre en s’annulant et se perdant.

Devenu personnage de théâtre, le criminel dévoile, pour s’en délivrer, l’image de rêve à partir de laquelle sa légende est écrite. Au nom de quel engagement devrait-il rester fidèle à l’idéal héroïque du criminel que l’extérieur lui impose? Et si sa perfection ne consistait pas à tenir ses promesses et son rang, mais plutôt à être lâche ? La «beauté en creux» propre à Genet s’approfondit davantage et se manifeste par une forme d’abdication : les lois sont renversées.

On assiste à la défaite de l’image. Les gangsters jouent à être ce que leur image leur interdisait d’être : la tapette, le lâche, le nouveau chef… Ce jeu, leitmotiv de la pièce, est leur seule issue. Les noms dont s’affublent les héros sont un clin d’oeil aux films noirs et au cliché doré qu’avait la France des années 1950 de l’Amérique au luxe opulent et toute puissante.

Soixante ans plus tard, les relations internationales bouleversées par les évènements du 11 septembre 2001 induisent une toute autre lecture de la pièce. La figure de l’Américaine révélée par le prisme du monde arabe porte en elle l’image d’un Occident impérialiste et prospère alors que l’Orient est définitivement masculin et brutal. La violence des gangsters à l’égard de l’Américaine joue des stéréotypes liés aux croisement des regards d’une culture sur l’autre. On ne peut échapper à certains clichés actuels qui font de nos bandits tantôt des terroristes tantôt des petits délinquants. Le gangster tel que l’imaginait Genet recouvre un nouveau visage. « Splendid’s » pose ainsi les questions intestines au regard porté sur l’Autre, distord de l’image attendue de soi.

L’hôtel désert hanté par les bandits condamnés répond exactement à la définition que Genet donnera de la scène quelques années plus tard, « un lieu voisin de la mort, où toutes les libertés sont possibles ». « Splendid’s » nous fait naviguer d’une rive à l’autre de sa clandestinité. L’intrigue, à première vue, est simple. Il ne faut pourtant pas s’y méprendre : « Splendid’s » n’est d’aucune façon une pièce d’inspiration réaliste. Les unités de lieu et d’action nettement marquées forment le cadre implacable et sans issue où tout semble imposer un dénouement sanglant. La pièce revêt les allures d’un rêve ou celle d’un rituel de l’adieu. Cette nuit est celle des métamorphoses et des funérailles. Cette mort dès la vie n’est rien d’autre qu’un jeu. C’est l’occasion de faire parler les morts et de les fêter. Qu’on y chante et qu’on y danse, comme le veulent les gangsters de Splendid’s. Seul un enfant peut imaginer une grande fête pour les morts. Seul lui est capable de vouloir s’échapper du monde des vivants. Un théâtre d’ombres joué par des enfants, tel est le rêve de théâtre de Genet dont ses pièces gardent l’empreinte.

Cristèle Alves Meira.

Cristèle Alves Meira – metteur en scène

FORMATIONS

Titulaire d’un Master de théâtre, Cristèle Alves Meira achève en 2004 ses études universitaires sous la direction de David Lescot. Elle suit la formation de Pascal E-Luneau au Studio Pygmalion et se penche sur la méthode de l’Actors Studio lors d’un stage avec Andreas Monolikakis et Jordan Beswik, professeurs du Drama School de New York. Cette formation lui vaudra de tourner dans plusieurs courts-métrages. Elle poursuit son apprentissage à l’école Jacques Lecoq où elle se consacre à l’étude du mouvement. Elle se spécialise sur le théâtre de Tadeusz Kantor et travaille avec Marie Vayssière à la Cricoteca de Cracovie.

Leave a Reply

Your email address will not be published.