Le peintre Omar Mahfoudi, qui réside maintenant à Paris est de retour à Tanger, sa ville natale, pour une exposition à la Galerie Conil intitulée « Botanica » du 5 au 31 octobre 2019 avec des peintures, dessins et sculptures.
Omar est venu au dessin et à la peinture avant de savoir écrire. Très tôt son travail de peintre, de photographe, de vidéaste et d’art performer interroge: l’intime, l’amitié masculine, le figuratif en brèche avec sa culture, les multiples paradoxes de la société contemporaine, l’immigration, l’exode, le mouvement, l’influence du politique et du religieux au Maroc, l’autorité militaire et la problématique de l’Homme face à la nature et au monde animal qui sera au coeur de l’expo Botanica…
Une poétique de la sensation
« La couleur est le point où notre cerveau et l’univers se rencontrent, c’est pourquoi elle apparaît toute dramatique au vrai peintre. » Paul Cézanne
Il peut paraître écrasant de commencer un texte consacré à la dernière série de tableaux d’Omar Mahfoudi intitulée « Botanica », en se référant à l’un des plus importants peintres français du 19ème siècle, mais c’est qu’il s’agit de situer les enjeux d’une telle peinture. Si l’on peut se réjouir ou s’étonner –mais en l’occurrence ici l’étonnement est le signe même de la jouissance esthétique – que le peintre tangérois s’intéresse au motif du paysage, encore faut-il commencer par balayer d’un revers de la main toute concession faite à l’esprit du temps.
Nous ne sommes pas ici face à une peinture de circonstance, écologique ou naturaliste, bien au contraire. Nous sommes, spectateurs, devant une vision terrible et sublime à la fois. Terreur mélancolique et saturnienne devant ces animaux esseulés, moins aux abois qu’abandonnés et absurdement livrés à eux-mêmes, comme si une chaîne avait été rompue, un lien définitivement brisé. Les savants nomment cette catastrophe du nom d’Anthropocène pour désigner ce temps suspendu qui voit la nature avoir définitivement disparu sous les coups mortels infligés par les hommes. Il fut un temps de la chasse et de la cueillette, révolu.
Voici venu le temps des assassins, comme l’écrivait Rimbaud, où les chasseurs ont été remplacés par des calculateurs fous et des profanateurs aguerris. Les hommes n’ont pas entièrement disparu, mais ils se réduisent ici à n’être plus que des silhouettes fantômatiques, des spectres incapables de témoigner de la destruction en cours.
S’il est une ligne continue qui traverse toutes les toiles présentées ici, c’est bien celle de la profanation et du saccage dont le peintre essaie de capter les quelques traces ou empreintes afin de les rendre indélébiles. La technique utilisée ici n’a rien d’ornemental. En mélangeant l’acrylique à de l’encre diluée, Mahfoudi nous jette à la figure, avec une sauvagerie toute animale qu’on pourra appeler instinct ou pulsion de vie – Éros –, des morceaux épars de cette nature dévastée, des pièces de ce monumental puzzle qu’il invite notre regard à recomposer.
Loin de l’inspiration fauviste qui guidait ses premiers pas en peinture, l’artiste célèbre ici l’union enfin retrouvée de la figuration et d’une abstraction lyrique qui touche au sublime. Sublimes sont ces contours tracés par des bombes aérosols rappelant la façon dont on délimite une scène de crime ou un chantier de destruction, sublimes ces formes évanescentes rappelant les arbres et la végétation d’un passé révolu ainsi que ces lignes d’horizon, souvenirs lointains d’une enfance tangéroise.
Si pour Cézanne, la peinture était la nature au Paradis ; il est à craindre que pour Omar Mahfoudi, la peinture ait commencé à rejoindre les enfers de la représentation. Que la nature brûlât, tel aurait dû être l’une de nos préoccupations majeures dont de rares artistes auront sans doute su témoigner…
Vernissage, le vendredi 5 octobre de 16 h à 20h en présence de l’artiste.
Olivier Rachet – Diptyk
GALERIE CONIL
7, rue du Palmier
35, rue des Almohades
Petit Socco – Tanger
Omar Mahfoudi, à mon propos…
« Je m’appelle Omar Mahfoudi. Né à Tanger (Maroc) en 1981, je peins, filme et photographie avec force les contradictions propres à mon pays natal et au monde contemporain depuis près de 20 ans.
J’ai commencé à dessiner avant que je ne sache écrire. Cela m’est venu naturellement et m’a permis d’explorer d’autres images et destins que ceux portés par ma société ou par des visions orientalistes. J’ai eu la chance d’avoir un professeur au collège qui m’a encouragé dans ma pratique. À partir de ce moment je me suis intéressé à l’histoire de l’art. Par les médiums que sont la peinture, la photographie et la vidéo, je tente de réinventer et de réécrire l’histoire de l’être humain par des émotions, parce que je viens d’une culture où l’art figuratif est interdit. De même, dans ma culture, l’érotisme est limité à une hypocrite et mince partie de la vie, bien que la sensualité y soit très importante. Je questionne les corps et la sexualité dans la vie quotidienne à travers l’érotisme propre à la peinture. Le regard que je porte est la somme de 15 années de réflexion qui sont désormais derrière moi, comme digérées. Depuis 2016, mon regard sur le monde est influencé par les problématiques politiques et humanistes, donnant à mon travail (toujours figuratif), un nouvel élan.
De la vidéo expérimentale au film d’animation pictural, mon œuvre vidéo témoigne de ma liberté d’expression et de ma vision sans complaisance des multiples paradoxes de la société contemporaine. J’essaye de créer des images qui touchent par leur souffle vital. Concernant la peinture et les performances de live-painting, la gestualité et l’action de peindre sont très fortes et prennent une dimension tantôt poétique, tantôt politique. J’en faisais la démonstration en 2017 au musée du Quai Branly dans un live painting, pour questionner la notion « d’exotisme ».
En 2018, l’exposition TANJAWI produite par le centre d’art Point Ephémère m’a permis de proposer un regard intime sur Tanger, en traduisant ma réalité par des techniques mixtes à l’instar de la vidéo, du dessin et de la photographie. Je voulais faire irradier d’un charme et d’une poésie magnétiques la thématique de l’amitié masculine dans la société marocaine, entre mélancolie, violence, et sensualité.
La même année, j’ai imaginé et organisé un projet articulé autour des musiques patrimoniales marocaines et de leur mémoire. Il s’agissait d’une écoute de l’album enregistré par Paul Bowles dans les années 50 au Maroc, d’une présentation du poète – figure emblématique de la Beat Generation – et de leur réception, trace, et influence aujourd’hui. Pourquoi ces musiques ont-elles disparu ? Quelle influence le politique et le religieux ont-ils exercé ces 50 dernières années sur les pratiques locales ? La conférence invitait des intervenants à La Colonie (Paris) qui ont échangé avec le public pour esquisser des réponses, mais aussi et surtout des questions.
Dans la continuité de la série Militaires et des techniques utilisées alors, j’ai prolongé mon travail sur les migrants ; comme prétexte pour représenter la foule, la multitude, l’exode, le mouvement…. Le geste est expressionniste, il caractérise mon travail, et est désormais associé à un trait géométrique.
En 2019, à travers la série Les Egarés, j’ai voulu donner suite à mon travail sur les migrants entamé en 2017.
J’y associais une revisite des classiques de la peinture romantique. J’entends par là le format monumental, qui revient d’ailleurs massivement dans la peinture contemporaine. J’ai eu envie de faire évoluer mon utilisation des couleurs et de passer de techniques basées sur des effets graphiques et géométriques à des techniques d’aplats et de coulures. Cet apport me rapproche d’images médiatiques, rappelant celles que l’on voit chaque jour à la télévision ou sur internet (voir la série Pixel Collage de l’artiste Thomas Hirschhorn). Cet effet plastique permet ainsi une distanciation et un rapport critique au thème traité. C’est donc une variation sur le même thème, la phase 3 de ma série sur le monde contemporain, qui s’inspire de notre quotidien et interroge le monde et notre rapport à ce celui-ci. »