En décembre 2017, j’ai participé à une maraude avec l’association « Coeurs cléments » à Tanger. Lors de cette froide nuit d’hiver, j’ai pris cruellement conscience du désarroi des populations de la rue et des sans-papiers notamment de celles et ceux venus d’Afrique. Aujourd’hui rendons hommage à l’un deux, Jean, qui vient de disparaitre brutalement et bizarrement. Témoignage de Stéphanie Gaou qui a bien connu et soutenu cet homme venu du Cameroun, qui était un sans-papiers, un artiste et un poète. Souvenons-nous de lui et paix à son âme.
Jean était un poète.Et un sans-papiers, comme seuls les Poètes peuvent se le permettre, eux qui sont habités de mots et d’images, eux libres envers et contre tous.Jean souriait toujours et sa raie du bonheur augurait de belles conversations un peu mystérieuses, constellées d’humour.Jean venait boire un café avec moi, souvent à la librairie et nous dissertions de la vie, il venait fabriquer ses superbes créations en couleur avec quelques bouts de laine et des sacs de récupération. Jean était fort et doux, un tigre rêveur dans une voix de velours. Nous parlions de livres, de poésie, nous riions. Il adorait Jill, il adorait partager.J’aimais savoir que Jean venait aux insolites comme chez lui, là où il se sentait bien. Là où c’était un havre. Ses amis l’appelait « l’artiste ». Jean avait une famille qui l’aimait au Cameroun. Jean, dans ses rêves de voyage, s’imaginait humain universel.Jean avait disparu depuis quelques jours et nous étions toutes et tous suspendu(e)s à cette nouvelle : vivant ? plus vivant ?La nouvelle est tombée ce matin. Il est mort dans des circonstances obscures comme souvent surgissent les morts des sans-papiers de nos jours. Refoulé comme beaucoup d’autres migrants au Maroc, il a été lâché par la police en pleine nuit sur l’autoroute d’Asilah. En pleine nuit. Et percuté, on ne sait où, on ne sait comment, on ne sait par qui, on ne sait pourquoi.Je pleure, comme toutes ses sœurs et tous ses frères de la communauté camerounaise. Je pleure un ami, un poète, un artiste. Je pleure une étoile qui ne s’éteindra jamais. Lui dont le ciel était tissé de navires, de cœurs et d’humanité. Au revoir Jean John. Veille sur nous comme nous n’avons pas su veiller sur toi. Je pense à celles et ceux qui, comme moi, t’aimaient. C’était impossible de ne pas t’aimer.
Hommage de Stéphanie Gaou – 25 janvier 2022
« La vie est pour les vivants.
La mort est pour les morts.
Que la vie soit comme la musique.
Et la mort comme une note
Non jouée. »
Langston Hugues