«Sur la planche» sur les écrans au Maroc

Dans un Tanger qui prend les traits d’une ogresse, quatre jeunes ouvrières tentent de survivre et de se prouver qu’elles existent. De jour comme de nuit, elles se livrent à une course frénétique où ne subsiste aucun repère. «Sur la Planche» de Leila Kilani plonge le spectateur dans un univers aux relents insupportables.


«Le Maroc se réfléchit, se reflète et se pense à travers son cinéma», déclare la réalisatrice marocaine Leila Kilani. «Sur la planche», vient de sortir dans les salles marocaines. Badia, Imane, Asma et Nawal, ouvrières vivotant, tant bien que mal, de leurs misérables revenus, incarnent une tranche de la population de ce Maroc où tout n’est pas rose.

Jeunes, dynamiques et assoiffées de vivre et de profiter d’une vie qui ne les a pas gâtées, ces jeunes filles refusent, à leur corps défendant, de se laisser bouffer par la ville «ogresse» de Tanger. Passant la journée à décortiquer les crevettes et à supporter les odeurs qui leur collent à la peau, Badia et Imane qui feront par la suite la connaissance d’Asma et Nawal, prennent leur revanche, la nuit, en investissant les espaces de la ville et en se les appropriant. Une façon de dominer la métropole et de lui imposer leur suprématie.
A la nuit tombée, Badia, une Casablancaise venue chercher du travail à la métropole et dénigrant son statut de «fille-crevette», tente de se démettre de sa peau. L’odeur des crevettes lui est insupportable au point d’en devenir maniaque. Une fois rentrée chez elle, elle se frotte encore et encore, use et abuse de plantes odorantes pour se débarrasser des relents qui persistent dans ses narines et probablement plus dans sa tête. Il s’en faut de peu pour que nous, autres spectateurs, sentions cette odeur. La multiplication des scènes où la jeune fille se livre à cette purification, au propre comme au figuré, sont légion dans le film et loin d’être gratuites. Cette manœuvre, qui frôle l’obsession, en dit lent sur la volonté de la jeune femme d’en finir avec une situation qui lui pourrit l’existence.

Éprouvée par la vie, Badia, la dure, la farouche, l’âpre a appris à se débrouiller comme elle peut. Elle sait qu’elle n’a pas de répit et qu’elle est obligée de ne jamais baisser sa garde. Avec ses acolytes, elle court, bouge, n’arrête jamais de jour comme de nuit, dans un mouvement continuel qui emporte le spectateur dans un vertige à lui faire perdre la tête. Pour les quatre intrépides aventurières, la nuit ne rime pas avec repos. C’est le moment propice de travailler les hommes et de dévaliser les maisons vides. Un geste qu’elles légitiment et justifient par leur misère humaine, mais qu’elles veulent jouissif et festif. «Je ne vole pas : je me rembourse. Je ne cambriole pas : je récupère. Je ne trafique pas : je commerce. Je ne me prostitue pas : je m’invite. Je ne mens pas : je suis déjà ce que je serai. Je suis juste en avance sur la vérité : la mienne», lance Badia, l’héroïne du film dans une frénésie qui avoisine la démence.

Avec «Sur la planche», Leila kilani offre une œuvre débordant d’humanité. Les personnages nous touchent par leur vulnérabilité inavouée et par la profondeur de leur malheur. Sans discours grandiloquent, sans larmes ni complaintes, les jeunes filles réussissent à transmettre leur désarroi et l’incertitude de leur existence. Leur talent aidant, elles signent d’excellentes prestations. Les jeunes comédiennes, pourtant débutantes, ont su (en grande partie grâce à la réalisatrice, certes) éviter le piège de la caricature et du mimétisme. Soufia Issami, qui a magistralement interprété le rôle de Badia, a eu droit à de multiples prix, amplement mérités. Le meilleur reste encore à venir.

Un casting minutieux, j’ai vu 320 filles à Tanger…

Le choix des comédiennes a été opéré de manière très exigeante. La réalisatrice, Leila Kilani, nous l’explique en ces termes : «J’ai vu 320 filles à Tanger. On a fait distribuer des flyers sur les plages, dans les cafés, les stands commerciaux. On a passé des annonces à la radio, créé une page Facebook, fait circuler des choses sur le web… Tout le Maroc a défilé, toutes les classes sociales. Les filles venaient avec les parents, ce qui aurait été totalement inconcevable, il y a vingt ans. L’interdit est tombé : la Star Academy est passée par là. Aucune des actrices n’a été choisie juste pour elle. C’est le quatuor qui comptait. Celles que l’on a gardées avaient en commun une manière assez intuitive de travailler, sans être dans la caricature de leur propre image».

Repères

  • 2011 : Paris Cinéma, mention spéciale du jury
  • 2011 : Taormina, Golden Tauro du meilleur film
  • 2011 : Taormina, Meilleure réalisatrice
  • 2011 : Taormina, Prix d’interprétation féminine
  • 2011 : Oslo, Prix FIPRESCI
  • 2011 : Tübingen, Prix de la critique
  • 2011 : Antalya, Meilleur film étranger
  • 2011 : Bruxelles, Prix spécial du jury
  • 2011 : Bruxelles, prix de la meilleure actrice (Soufia Issami)
  • 2011 : Abu Dhabi, Mention spéciale du jury
  • 2011 : Bastia, Meilleur film, Prix du jeune public, Meilleure bande son
  • 2011 : Florence, Mention spéciale du jury § UIFF Popoli e Religioni
  • 2012 : Tanger, Festival national, Grand Prix

D’après Le Matin.ma


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