« L’armée du salut », le premier long métrage d’Abdellah Taïa, est passé entre les mailles du filet de la censure. Il est en compétition officielle pour la 15e édition du Festival national du film de Tanger.
Le film de l’écrivain marocain Abdellah Taïa, L’armée du salut fait partie des 22 films nominés pour le grand prix du Festival national du film qui aura lieu du 7 au 15 février à Tanger. Abdellah Taïa a choisi d’adapter son 3e roman (l’Armée du salut) pour son passage derrière la caméra.
Le film -largement autobiographique- esquisse l’histoire d’un amour impossible et à sens unique entre le jeune Abdellah et son frère aîné sur fond du Maroc des bas-fonds, des dogmes religieux et du silence consensuel.
«Ce film correspond à ma vision de la vie, du Maroc et comment ce pays traite ses individus, hétérosexuels ou homosexuels, en étouffant leurs aspirations à des libertés vraies, réelles et non pas inventées par je ne sais qui. Le héros est homosexuel et il est au Maroc, à Casablanca, au milieu d’une vie tout ce qu’il y a de plus marocain…» nous a confié Abdellah Taïa au cours d’une interview au moment de la sortie de son film.
L’armée du salut est divisé en deux chapitres. La première partie se passe en 1999 et «suit le héros (interprété par le jeune Saïd Mrini) à l’âge de 15 ans, en train de se battre avec la réalité marocaine, opaque, très sexuelle et où le silence est roi» et la deuxième, «dix ans plus tard, le héros, interprété à ce moment-là par Karim Aït M’Hand, vient d’arriver à Genève, il erre dans les rues, il n’a pas où dormir» nous a expliqué le réalisateur.
En adoptant son roman, Abdellah Taïa a pris un risque, celui de la censure. Il nous a raconté les difficultés rencontrées lors du tournage. «Le tournage a été difficile. Très tendu. Il avait eu lieu juste après les manifestations contre mes livres organisées par les étudiants islamistes de l’Université d’El-Jadida… On a d’ailleurs tourné pendant une semaine dans cette ville… Je vous laisse imaginer l’atmosphère et l’état dans lequel je me trouvais».
L’armée du salut a été présenté à la Semaine de la critique de la 70e édition de la Mostra de Venise et au Toronto International Film Festival 2013 (sélection « découverte »).
Le premier long métrage de Taïa compte déjà dans son escarcelle le Prix Spécial du Jury au Geneva International Film Festival (Suisse), décerné en novembre dernier. La participation à ces évènements internationaux du cinéma a ouvert la voie à « l’armée de salut » à sa distribution, en mars prochain, dans les salles obscures en France.
La participation de « l’armée de salut » au Festival National du Film devrait relancer, en ce début d’année, le débat sur les libertés individuelles au Maroc, et notamment sur la question de l’homosexualité. De nouveau les clans des laïcs et des conservateurs croiseront le fer à Tanger.
Si la sélection du film au festival du film de Tanger se présente comme une petite victoire pour Abdellah Taïa, la manche n’est toujours pas gagnée. Aucune confirmation en vue pour la diffusion nationale du film.
H24 Info
A propos de Abdellah Taïa
Abdellah Taïa a étudié la littérature française à l’université Mohamed V de Rabat, à l’université de Genève et à la Sorbonne.
Issu d’une famille modeste, il est l’un des premiers écrivains marocains et arabes à affirmer publiquement, dans ses livres comme dans les médias, son homosexualité (après Rachid O., L’enfant ébloui, 1995). Il est l’auteur de plusieurs romans dont Le Jour du Roi (Éd. du Seuil) pour lequel il a obtenu en 2010 le Prix de Flore.
En 1999, il publie ses premiers textes dans un recueil de nouvelles publiées par Loïc Barrière aux éditions Paris-Méditerranée, Des nouvelles du Maroc, aux côtés de Mohamed Choukri, Salim Jay et Rachid O.
Son premier recueil de nouvelles, Mon Maroc, paraît l’année suivante aux éditions Séguier, avec une préface de l’écrivain René de Ceccatty auquel il rendra un chaleureux hommage quand il recevra le Prix de Flore.
Dans son Dictionnaire des écrivains marocains, Salim Jay écrit qu’Abdellah Taïa possède « un ton bien à lui, fait d’une imprégnation authentique par les humeurs et les rumeurs de son pays natal et d’une ouverture avide à la découverte d’univers différents de l’autre côté du détroit. »
En juin 2007, Abdellah Taïa a fait la couverture de Telquel sous le titre : « Homosexuel, envers et contre tous ».
En avril 2009, il a publié une lettre intitulée « l’homosexualité expliquée à ma mère » dans le magazine marocain Telquel où il explique ouvertement ses choix, quant à sa sexualité.
En 2009, il a dirigé l’ouvrage collectif « Lettres à un jeune marocain » (Éd. du Seuil) qui se voulait une main tendue vers la jeunesse marocaine abandonnée par tous. 50 000 exemplaires de la version française de ce livre ont été distribués gratuitement au Maroc en août 2009 avec l’hebdomadaire Telquel. En décembre de la même année, 40 000 exemplaires de la version arabe ont été également distribués gratuitement au Maroc avec l’hebdomadaire arabophone Nichane.
De décembre 2008 à décembre 2010, sous la présidence de Florence Malraux, Abdellah Taïa a été membre de la commission avance sur recettes au CNC. Il a été nommé par la directrice du CNC, Véronique Cayla.
Depuis le début du printemps arabe, il a publié plusieurs tribunes dans les journaux français et marocains.
En 2012, il réalise son premier film, L’Armée du salut, adaptation de son troisième roman qu’il présente à la Mostra de Venise 2013.
Ses livres sont traduits dans plusieurs langues.
Voir l’interview de Abdellah Taïa au sujet de son film et de l’adaptation de son livre « L’armée du salut » > http://www.youtube.com/watch?v=iHG3Ga_6smU