Voici un intéressant article de Télérama au sujet de « Much Loved » le film de Nabil Ayouch qui a été censuré au Maroc. Pourtant la réalité n’est vraiment pas loin. Sans faire une enquête de police, il suffit d’aller prendre un verre dans quelques établissements de nuit de Tanger pour vite arriver à la même conclusion que Ayouch. Le problème n’est pas de juger mais de mettre en évidence ce véritable fléau. La prostitution existe malheureusement partout, même au Maroc! La meilleure façon de lutter contre cette dérive est d’affronter et de ne pas se voiler la face…
Reportage de Caroline Besse – Télérama.fr
Au cinéma le Louxor à Paris, il sont venus nombreux, jeudi 11 juin, assister à la projection exceptionnelle du film de Nabil Ayouch, censuré au Maroc. La meilleure façon de déjouer la censure serait de projeter « Much Loved » à la Cinémathèque de Tanger…
Aux abords du Louxor, cinéma du dixième arrondissement de Paris, il faisait très chaud, ce jeudi 11 juin. C’était même caniculaire. On aurait pu être à Tanger ou Marrakech, où se déroule le film « Much Loved », du réalisateur franco-marocain Nabil Ayouch. Le film était projeté hier soir dans la salle Youssef Chahine, comme dans six autres salles parisiennes et quatre cinémas en province, pour des avant-premières exceptionnelles. Des projections organisées en soutien au réalisateur, après l’interdiction du film au Maroc.
Entretien
Nabil Ayouch : “Ils ont censuré mon film avant de le voir”
Selon le gouvernement en effet, Much Loved « comporte un outrage grave aux valeurs morales et à la femme marocaine, et une atteinte flagrante à l’image du royaume ». Une décision basée sur de simples extraits diffusés par la Quinzaine des réalisateurs où le film était sélectionné, alimentée aussi par des rushes qui n’apparaissent pas au montage final, mais qui auraient circulé sur Internet. Le film aborde frontalement la prostitution dans le pays, via le prisme de trois (puis quatre) jeunes femmes solidaires pour affronter les nuits glauques avec des clients, principalement saoudiens.
Ce soir-là au Louxor, la salle est quasiment pleine. Ahmed, 55 ans, et Rachida, 44 ans, nés au Maroc, habitent en France depuis plusieurs années. Ils sont venus apporter leur « soutien » et leur « solidarité » à Nabil Ayouch. « C’est l’esprit du 11 janvier qui nous anime, explique Ahmed. Celui de la liberté d’expression et de la tolérance. Le travail de Nabil est très important pour le Maroc. » Il cite Ali Zaoua, Prince de la rue, sur les enfants errants, ou Les Chevaux de dieu, qui traite de jeunes gens en partance pour le jihad… « Je suis content qu’il y ait autant de monde ce soir, je n’ai jamais vu le cinéma aussi plein ! » s’exclame-t-il.
“Ce que montre ce film, c’est simplement la face cachée du Maroc !”
Quelques minutes avant le début de la séance, Emmanuel Papillon, le directeur du cinéma, apparaît sur la scène pour exprimer son soutien au réalisateur : « Cette projection était évidente compte tenu des problèmes que Nabil Ayouch a rencontrés et au regard de son œuvre. » ll présente Eric Lagesse, de Pyramide, le distributeur du film, avant que celui-ci ne prenne la parole à son tour : « C’est un grand film qui rend hommage à ces femmes », explique-t-il. « Beaucoup de jeunes sont venus voir le film lors de la reprise au Forum des images, après le Festival de Cannes. J’espère qu’ils porteront la bonne parole à leurs amis au Maroc ! »… « Ou la mauvaise ! » l’interrompt agressivement une jeune femme dans l’assistance. « Là-bas, il n’y a pas la même culture ! » La salle rouspète, puis applaudit Eric Lagesse qui rétorque qu’on ne peut juger un film sur de seuls extraits.
La projection est ponctuée de silences pesants ou d’écats de rires, de soupirs et de chuchotements… A la fin du film, plusieurs personnes se mettent à fredonner avec émotion la célèbre chanson marocaine Ya bent bladi, au générique. « Oh fille de mon pays, tes yeux m’ont ravi ! À la vue de ta beauté, mon cœur s’est attaché. »
Rachida et Ahmed le concèdent : « Le langage cru et certains gros plans peuvent heurter. Mais ce que montre ce film, c’est simplement la face cachée du Maroc ! La prostitution, la police corrompue… Tout cela existe, rien n’est inventé. Si des filles font ce métier, c’est par nécessité… »
Avant de prendre le métro pour rentrer chez elle, Kenza, 20 ans, née à Casablanca et étudiante à Paris, nous confie son enthousiasme. « Much Loved représente très bien le Maroc et ses paradoxes, sans misérabilisme. C’est drôle et poignant… Connaissant les politiques de mon pays, ça ne m’étonne pas qu’ils aient voulu l’interdire. Ce qui me révolte surtout, c’est que cette censure est totalement illégale. Aucune loi n’a été respectée pour prendre cette décision, puisque le gouvernement n’a pas vu le film ! Ce genre de polémiques, comme, plus récemment, celle avec Jennifer Lopez [la chanteuse a été acccusée d’outrage à la pudeur après un concert dans un festival marocain, ndlr] cache des problèmes de fond plus graves. Au final, le gouvernement profite de cette polémique. Et pendant ce temps, on ne parle pas du reste… »
Synopsis: Marrakech aujourd’hui. Noha, Randa, Soukaina, Hlima et les autres vivent d’amours tarifés. Ce sont des putes, des objets de désir. Les chairs se montrent, les corps s’exhibent et s’excitent, l’argent circule aux rythmes des plaisirs et des humiliations subies. Mais joyeuses et complices, dignes et émancipées dans leur royaume de femmes, elles surmontent la violence d’une société marocaine qui les utilise tout en les condamnant.
Kenza n’est pas la seule à être ulcérée par l’absurdité et la violence d’une telle censure. Sur la terrasse du Louxor, Najib, Kader et Samiha se sont assis pour boire une bière et grignoter. Ils ont essayé de voir le film aux Halles, mais la séance était complète. Najib, 61 ans, a quitté le Maroc à cause de son homosexualité, impossible à vivre dans son pays. « Ce film, c’est un documentaire ! s’exclame-t-il. Tout ce qu’on voit, les Marocains le savent… » « Le Maroc est en pleine régression », se désole quant à lui Kader, 54 ans. Les réactions sur Facebook après la diffusion des extraits ont été ahurissantes de violence. Pourtant, ce film reflète la réalité. »
« Il faut arrêter de vivre dans le déni, renchérit Samiha, qui avait au Maroc une amie prostituée. Ce film est très important car il traite de nombreux thèmes qui asphyxient le pays : la police et la justice corrompues, les hôpitaux bondés, la pédophilie… Tout ça existe ! » « Mais personne au Maroc ne veut voir cette réalité, la misère, les problèmes économiques…Ce n’est pas un film qui va foutre en l’air le pays ! Mais personne ne veut regarder la misère en face », ajoute Kader.
Pour Samiha, le Maroc est un pays « schizophrène, bourré de contradiction ». Et cette polémique l’a définitivement écœurée. Elle ne compte pas retourner au Maroc avant un moment, alors qu’y vivent toujours ses parents et ses quatre sœurs. « Je ne veux pas y emmener ma fille… » Mais dès que le DVD de Much Loved sortira, elle l’enverra à sa famille.
Reportage de Caroline Besse – Télérama.fr