La Galerie Conil de Tanger présente les oeuvres de Gérard Testa. Une trentaine de sculptures, peintures et dessins, du 8 décembre 2018 au 8 janvier 2019.
Nous avons interrogé Gérard Testa et recueilli quelques précisions sur son exposition à la galerie Conil de Tanger.
– Gérard Testa, quel est le thème de cette exposition à la galerie Conil de Tanger?
« Cette expo n’a pas de thème explicite, elle est basée sur la silhouette et l’être humain, il n’y a pas de début et il n’y a pas de fin… avec des grands personnages abstraits qui traversent l’espace à la verticale… Les sculptures et les dessins exposés chez Conil ont été réalisé spécialement pour cette exposition.
– Les supports font également partis de votre oeuvre, sur quoi travaillez vous?
Si l’homme dans son tracé totémique est au coeur de mon oeuvre, la lumière et la matière jouent beaucoup dans mes représentations… Pour les peintures j’aime utiliser un support brut: le sotex (feuille d’isolation que l’on trouve dans la toiture des maisons américaines) que je révèle au trichloréthylène pour le détourner de son usage et lui donner de la profondeur. Je calcine la matière sur les côtés pour ne pas passer directement du noir au clair… Pour les sculptures, j’utilise du bois découpé, tout simple. Pour les dessins, le tracé est à l’huile sur des cartons bruts, d’emballage. Je n’utilise pas les produits classiques des beaux-arts. Je travaille comme ça depuis plus de 20 ans, j’aime beaucoup ces matières. »
Jusqu’à l’éblouissement, Gérard Testa se nourrit de la transparence et de la profondeur des lumières du sud, il partage sa vie entre Luberon en France, Oualidia et depuis peu à Tanger au Maroc. Mais qui dit lumière, dit aussi ombre… L’ombre d’une confidence
Voici plus de quarante ans que Gérard Testa, le peintre comme le sculpteur, élabore une œuvre d’une rigueur infaillible, exclusivement consacrée à un art abstrait qui se régénère sans cesse pour retracer une trajectoire constamment tendue vers un aboutissement que, heureusement, il n’atteindra jamais. Se gardant de céder à cette déroutante prolifération de pratiques et de tendances qui marque l’art contemporain, l’artiste concentre sa création autour d’une peinture engagée en permanence dans une quête d’un absolu de pureté et de silence, maintenant comme ferment essentiel l’ordonnancement d’une géopoétique intime structurée dans un agencement toujours frontal. L’art de Testa est hostile aux effets mièvres et exempt de toute obligation d’hyperbole. Procédant du rêve ou de la mémoire, de l’autonome circulation du tracé ou de visions intentionnelles, chaque pièce, dessin, toile ou sculpture, est frappée d’une vibration tue, de flammes éteintes, de blessures pansées. C’est sans doute à la fois cette cohérence d’approche et cette ardeur contenue qui séduisent les nombreux collectionneurs de l’œuvre et interpellent les écrivains et les poètes. Une somme de textes témoigne de la capacité d’appel et de transcendance de cet art. Jean de Petit-Tresserve y voit « une formulation médiumnique », Jean Klépal « la vérification de souvenirs ou d’images mentales ». L’expressionnisme dédramatisé de l’œuvre est issu de confidences individuelles. D’où la propension de chaque tableau ou sculpture à contaminer le regard de sa profondeur méditative. Selon Souné Prolongeau-Wade, les peintures de Gérard Testa « nous conduisent au cœur de la solitude de l’homme ».
L’indéfectible intégrité de l’œuvre ne gomme pas les transitions entre les étapes de ce parcours impressionnant d’activité intense et de volonté de dépassement. Aux collages des années 80, des étalages de surfaces verticales heurtées de motifs indécis, succèdent des séries de toiles et de sculptures qui, écrit Jean Lacouture, consistent en un « assemblage de retenues passionnées », où peinture à l’huile et pastel se disputent les zones chromatiques d’une géométrie maitrisée. Les formes s’y échelonnent en un puzzle d’apparence sereine mais gravide d’événements à surgir. Elles ouvrent la voie aux peintures au fond noir que Testa, à partir de l’année 1994, compose au sotex et à la peinture à l’huile pendant une décennie. C’est, pour ma sensibilité et mon regard, la phase la plus puissante de l’art du peintre. Jean-Claude Roure ne manque pas de relever « le penchant pathétique » de ces toiles sombres et inquiétantes, où les motifs en beige et ocre figurent des silhouettes électrifiées, des êtres réduits en écorce aux contours tremblants. Les formes rectangulaires et ovales suggèrent des corps divisés, des parcelles d’humanité recousues de lambeaux de chair. Le motif supérieur donne souvent l’impression d’un visage trituré qui s’effile dans la nuit noire, épinglé à un buste ponctué d’ecchymoses et de chancres géants. Ce soupçon de tragédie n’est plus de mise dans les séries de cartons qui occupent la décennie suivante. Sur un fond gris, la couleur y disparaît au profit de lignes noires qui tournoient, s’emmêlent et se dénouent pour tisser des figures qui se dédoublent en une foule d’êtres dont ne subsiste que la trace d’une existence éphémère. Cette mélancolie tempérée culmine dans les derniers dessins et sculptures de l’artiste. Un tracé noir sur fond blanc érige des formes verticales traversées de hachures et de sutures, scindées en des blocs qui, dans un rythme bancal, se superposent comme des tours vulnérables mais d’une sobriété austère. C’est à la fois le propre et la force majeure de l’œuvre de Gérard Testa : contenir l’émotion pour n’en extraire que l’apparence, muer l’intériorité de l’homme en aspiration à un idéal d’équilibre et de silence.
Texte de Youssef Wahboun
A propos de Gérard Testa.
Il débute dans le monde de l’art très jeune en 1965 en prenant des cours à l’académie Valery Larbaud avec Robert Mermet comme professeur, qui était le statuaire de Vichy, où Gérard a vécu dans son adolescence. Mermet a enseigné le dessin à Gérard qui lui a valu très jeune une première exposition à Vichy accrochée a côté de Bernard Buffet.
Après un passage à l’école des beaux-arts d’Aix-en-Provence, il s’installe en 1975 dans le Gard où lors d’une exposition il rencontre Claude Viallat qui lui fait découvrir la peinture américaine.
En 1979, il s’installe près du Luberon où il commence une période de collages avec des draps de récupération qu’il brûle à la cheminée, et rehaussés de blanc et de noir.
Après un voyage au Maroc en 1989, il revient pour une exposition qu’il prépare pour la galerie Johannes Schilling à Cologne en 1990, le catalogue est préfacé par Jean Lacouture, ami de l’artiste.
En 2001, Gérard Testa s’installe au Maroc. Il présente à Art Gallery Matisse à Marrakech en 2006 des travaux réalisés avec un matériau industriel qu’il révèle au trichloréthylène où le noir joue un rôle important. Il expose ensuite en 2010 aux Galeries nationales de Rabat.
Il vit aujourd’hui entre ses deux ateliers en France et au Maroc.