Farid Bahri, auteur natif de Tanger, nous propose son nouvel essai « Les Marocains et leurs langues » Ce que parler quatre ou cinq langues veut dire, qui sera dans les librairies à partir du 6 avril. Vous pourrez trouver cet ouvrage à Tanger à la Libairie des Colonnes et aux Insolites. Il est également annoncé sur plusieurs plateformes virtuelles.
« Les Marocains et leurs langues » Ce que parler quatre ou cinq langues veut dire.
Quelle langue parle-t-on au Maroc ? La question paraît anodine. La réponse, pourtant, est loin d’être évidente, tant il y a de langues dans ce pays. Chacune a un rôle bien spécifique mais toutes définissent des projets identitaires bien distincts, qui peuvent être antagonistes. L’auteur analyse chacune d’elles non sur le plan linguistique, qui n’est pas l’objet du livre, mais sur la place qu’elles occupent dans la société marocaine et dans la politique de l’Etat marocain.
Au Maroc, on parle l’arabe, bien sûr, mais celui-ci se décline en différentes versions, dialectale ou classique – et tous les intermédiaires -, entre lesquelles l’intercompréhension n’est pas toujours assurée, mais une partie des Marocains s’exprime aussi en berbère (ou amazighe), langue qui possède plusieurs variantes régionales. Le français, voire l’espagnol, hérités de la colonisation, et même aujourd’hui, l’anglais, occupent toujours au Maroc une position incontournable…
Ainsi, le jeune Marocain est confronté dès son plus jeune âge à cette surabondance linguistique avec laquelle il devra se débrouiller selon ses aspirations, ses études, sa classe sociale, la région où il vit… Cet empilement de langues est le fruit d’une multitude d’influences culturelles accumulées au cours de 2000 ans d’Histoire et entre lesquelles les Marocains n’ont pas encore su faire des choix définitifs.
Extrait sur Tanger, bien entendu…
Quant à l’Empire britannique, encore à ses balbutiements, au XVIIe siècle, son occupation du territoire marocain est considérablement plus restreinte dès lors qu’elle se réduit à Tanger et ses environs immédiats, et ce durant vingt-trois petites années. Le laps de temps est trop tassé pour permettre la fusion d’éléments de langage. Gardons à l’esprit que l’influence linguistique puise dans la longue durée. Quoi qu’il en soit, l’étude reste à faire si ce n’est qu’à travers notre expérience peut-on dénoter au moins deux expressions dans la darija tangéroise à ne trouver nulle part ailleurs au Maroc. Le verbe à préposition gouwi (bas les pattes) dont l’étymologie est certainement go away. Il y a également cette intrigant trawzez pour désigner une paire de blue-jeans, et qui descend à coup sûr de l’anglais trousers (pantalon). Pour finir, au vu des données démographiques de Tanger au XVIIe siècle où les estimations donnent environ 2 000 habitants, sans compter la garnison anglaise, constituée de commerçants espagnols, italiens et portugais. Peu d’autochtones comme le confirme Jean-Louis Miège. « (…) On entendait parler l’anglais (…) l’espagnol presque jamais l’arabe ou le berbère. Les musulmans étaient quasi absents de la place » commente-t-il. En tout état de cause, cela montre à bien des égards que l’aventure sociolinguistique du Maroc est d’abord et avant tout un phénomène littoral.
Farid Bahri, Les Marocains et leurs langues. Ce que parler quatre ou cinq langues veut dire. Éditions Bibliomonde, Paris, 2023.