A Tanger, en collaboration avec l’association MED cultures, la librairie « La Virgule » recevait le jeudi 15 Décembre l’écrivain et poète marocain Abdellatif Laâbi.
Le thème du débat, animé par Naïma Mouaddine et Rachid Khalesi, tournait autour de ses deux derniers livres, essais et recueils d’articles « Pour un Maroc démocratique » et « Combat pour la culture ».
Immense poète au charisme indiscutable et auteur prolifique de romans, pièces de théatre, traducteur, Abedellatif Laâbi séduit immédiatement par son enthousiasme et sa détermination. Il s’exprime dans un français impeccable, encourageant toujours la cohabitation des deux cultures « La langue française fait partie du patrimoine marocain, dit il, et on peut déplorer que l’espagnol soit en perte de vitesse aujourd’hui ». Il souligne l’importance à redonner aux langues : Amazigh oui mais aussi le darija : « c’est en écoutant ma mère m’insulter que j’ai compris la richesse et l’inventivité de cette langue. Il y a un génie des langues qui permet d’aimer le pays ou les régions »
En revanche, il ne connait pas la langue de bois, c’est une évidence !
« Les bibliothèques sont plus importantes que les mosquées » lance-t-il, pour entamer le débat.
« Les mosquées sont le lieu qui concerne la communauté des croyants, les librairies sont le temple ouvert à l’humanité tout entière. C’est un combat vital pour l’émancipation de la société et l’avenir de nos jeunes»…
En 1960, Abdellatif Laâbi fonde la revue « Souffle ». Son combat déjà percutant pour la culture lui vaudra 8 ans de prison, puis un exil en France.
« Nos gouvernants restent sourds et aujourd’hui au Maroc cette lutte est plus que jamais à l’ordre du jour » reprend-t-il avec fougue !
« Ma conviction est assassinée par la réalité ! Mon rêve a échoué de façon fracassante ! A quelle enseigne sera logée la culture avec le nouveau gouvernement ? »
Son souhait est, bien entendu, la tolérance et le respect des différences. Il défend le droit des marocains laÏques et leur expression tout en insistant sur le fait que la laïcité n’a rien à voir avec l’hostilité contre les religions. mais , affirme-t-il, la séparation de l’église et de l’état est indispensable pour évoluer ».
Il continue ensuite sur le combat majeur à poursuivre : exiger la liberté d’expression au Maroc, dénoncer la censure. « Cela fait seulement dix ans que mes livres existent au Maroc et encore on les trouve assez rarement alors qu’en France dans le moindre village ils sont là . Quant à leur traduction en arabe je n’ai jamais pu l’obtenir dans mon pays, c’est un éditeur Syrien qui la réalisée intégralement »
Et, il soulève aussi les risques terribles de déperdition de la mémoire culturelle.
« L’épanouissement de la culture brise les tabous, qu’elle soit donc au centre du débat national !
Maintenant, poursuit-il, nous sommes dans l’Automne Arabe mais il ne faut pas oublier le Printemps, celui qui nous a permis de rentrer dans l’histoire, au devant de la scène internationale en reprenant le sens de la dignité humaine, de la révolte et de l’indignation !».
Le public venu en grand nombre écouter l’écrivain a posé beaucoup de questions auxquelles il s’est volontiers prêté car Abdellatif Laâbi est aussi un orateur infatigable! L’une d’elles a particulièrement marqué l’auditoire : une tout petite fille avec un maturité, une aisance et une expression remarquables lui a demandé comment il avait pu écrire en prison et parler de lumière, décrivant comment ses textes lui donnent envie de pleurer de tristesse et sourire d’espoir.
Magnifique point d’orgue à ce débat !
Aïch Bengio
Extrait du site d’Abdellatif Laâbi dont nous vous donnons le lien à la fin :
« Ai-je jamais écrit avec autre chose que ma vie ? »
Bio-bibliographie succincte.
Abdellatif Laâbi est né en 1942, à Fès. Son opposition intellectuelle au régime lui vaut d’être emprisonné pendant huit ans. Libéré en 1980, il s’exile en France en 1985. Depuis, il vit (le Maroc au cœur) en banlieue parisienne. Son vécu est la source première d’une œuvre plurielle (poésie, roman, théâtre, essai) sise au confluent des cultures, ancrée dans un humanisme de combat, pétrie d’humour et de tendresse. Il a obtenu le prix Goncourt de la poésie en 2009, et le Grand Prix de la francophonie de l’Académie française en 2011. Parmi ses œuvres, publiées en majeure partie aux Editions de la Différence : L’œil et la nuit (2003), Le chemin des ordalies (2003), Chroniques de la citadelle d’exil (2005), Les rides du lion (2007), Le livre imprévu (2010) ; Le soleil se meurt (1992), L’étreinte du monde (1993), Le spleen de Casablanca (1996), Les fruits du corps (2003), Tribulations d’un rêveur attitré (2008), Œuvre poétique I et II (2006 ; 2010). Par ailleurs, les éditions Gallimard ont publié son roman Le fond de la jarre (2002 ; collection Folio 2010).
http://www.laabi.net/index.html