Dans cette exposition « Illusion », Daniel Aron nous donne à voir l’invisible ou le vrai/faux, comme il dit. Il met devant nous le théâtre du cinéma avec ses décors plus vrais que la réalité. il nous offre une incursion magique dans les lieux d’action de films mythiques. Et il rend hommage à tous ces artisans sans qui le cinéma n’existerait pas.
Quand je pense à cela, je revois dans ma tête le film exceptionnel « Amour » de Haneke et les lieux dans lesquels vivent et se meurent Jean-Louis Trintignant et Emmanuelle Riva. Lieux criants de vérité, de beauté, de sensibilité faisant plus vrai que vrai, l’intérieur d’un vieux couple de professeurs de musique à la retraite, on s’y croirait du début (terrible) à la fin, terrible aussi…
Les photographies d’Illusion ont été prises dans quelques uns des grands studios en activité dans le monde: ce sont des lieux où l’on peut encore « entrer avec son script sous le bras et en ressortir avec une copie prête pour la projection… »
Mais le cinéma évolue, les caméras numériques voudraient nous faire oublier les subtilités du film argentique…
Les films à grand spectacle ou les reconstructions historiques se font rares… tout cela fragilise l’existence d’ateliers de sculpture, de peinture, de moulage, de construction ou travaillent ces magiciens du faux/vrai, capables de réaliser les rêves les plus fous des metteurs en scène et de leurs décorateurs.
Préserver ces décors après le tournage nécessite des « back lots » immenses, autant de terrains convoités par la fièvre immobilière. Aujourd’hui on construit peu, on conserve de moins en moins.
Ces photographies sont un hommage rendu au savoir faire de tous ces artisans animés par un même souci de perfection, une perfection telle, qu’il est parfois difficile de distinguer le Vrai du Faux… pour notre plus grand bonheur…
Exposition du 4 août au 9 septembre 2013
Jardins de Riad Sultan et Palais Dar El Makhzen, place de la Kasbah – Tanger
GENESE D’ILLUSION SELON DANIEL ARON
Il y a quelques années, tout en photographiant Jacques Perrin, je lui dis que j’avais envie de traiter un sujet qui aurait pu s’appeler « le vrai et le faux ».
En sortant de la salle obscure, l’émotion du film passée, qui d’entre nous ne s’est posé la question :
« De ce décor superbe, qu’est ce qui est vrai, qu’est ce qui est faux ? »
Jacques Perrin me montre alors quelques images des décors que Jean Rabasse avait imaginés pour le film « Faubourg 36 » de Christophe Barratier.
Epoustouflé par leur ampleur et leur réalisme, j’imaginai en un « clic » le sujet :
un tour du Monde des grands studios, l’exploration de leurs « backlots », dénicher et photographier ce qui aura été préservé, conservé, après tournages, de ces décors parfois si parfaits qu’il est difficile, même »in-situ», de distinguer le « Vrai du Faux ».
Le surlendemain, j’étais à Prague et m’empressais de fixer les images de ces rues de Paris qui devaient être démolies le jour suivant.
Je découvrais ainsi, une des principales difficultés de mon projet: aujourd’hui, un décor, aussi soigné soit-il, est éphémère. On construit peu et on conserve de moins en moins.
Ce que l’on préserve est souvent réutilisé, après modifications, réinterprété ou sert de base à une reconstruction… c’est ce que je cherchais!!!
De retour à Paris, c’est à Arpajon que je photographiais un décor conçu par Jacques Saulnier pour « Herbes Folles » d’Alain Resnais.
La minutie de la reconstitution du salon de la maison, et le soin apporté à la construction d’un lieu dont la durée de vie n’excéderait pas quelques semaines, étaient impressionnants.
Le chef constructeur soulignait que peu de metteurs en scène pouvaient exiger et obtenir une telle perfection.
Tout, en effet, reposait sur une structure en bois, au lieu (traditionnellement) du sol du studio. On m’expliquait que la qualité de l ‘enregistrement et de la restitution du son, en serait très améliorée.
Mais bien sûr, tout cela est très cher, donc très exceptionnel!
A Cinecitta, je vais d’abord dans l’Antre de Federico Fellini. Un studio si grand que l’on a pu y construire un immeuble de plusieurs étages. Il n’y a pas de tournage, tout est très silencieux, j’entends ma respiration, c’est très impressionnant: ce noir partout avec quelques rais de lumière qui marquent les immenses ouvertures de cette « caverne » que Fellini adorait.
Immense et vide, c’était d’autant plus impressionnant qu’à l’extérieur, j’allais passer trois jours de rêve, dans la » Rome » antique, la rue de « Gangsters of New York » ou au pied du Discobole, dernier vestige de « Ben Hur » tourné ici en 1959.
A Moscou, chez Mosfilm, mon guide m’accueille avec ces mots : « Ici c’est encore un endroit de cinéma ! »
Il s’explique : « Vous pouvez entrer avec votre script sous le bras et repartir avec votre film achevé. Chez Mosfilm, on y fait, on y faisait tout sur place, le bonheur pour un réalisateur ! »
Sur les photos que je prends, seule la neige est « vraie »…