L’histoire des étiquettes d’hôtel fut un fabuleux mode d’expression des professionnels de l’hôtellerie qui assuraient leur notoriété et leur promotion souvent de façon artistique mais aussi constituait un code professionnel pour tracé le profil de leur clientèle. Cette singulière histoire est à découvrir dans le cadre de l’exposition que nous propose la galerie Artingis, intitulée: « Invitation au voyage » – avec les anciennes étiquettes d’hôtel du Maroc et du monde – du 29 octobre au 3 janvier 2023 à Tanger.
L’art du voyage. Les étiquettes d’hôtel étaient en 1900 des petites affichettes collées sur les malles et bagages par le personnel des hôtels du monde entier pour promouvoir un établissement. Beaucoup de mouvements artistiques ont influé sur le style de ces petites affichettes, de 1880 aux années 1960. On y retrouve notamment aujourd’hui l’art déco avec le grand Hôtel Roblin à Paris, l’Expressionnisme ou bien l’Art nouveau. Comme pour les affiches anciennes, les étiquettes d’hôtel témoignent du courant artistique en vogue lors de leurs créations et des habitudes des voyageurs.
Des entêtes de facture. Originellement, elles sont inspirées de l’entête des factures que les hôteliers collaient directement sur les malles vers 1860 pour ne pas encombrer le client avec un reçu. Des artistes ont été par la suite sollicités pour décorer ces factures et mettre en avant l’établissement sur ce petit reçu. Les voyageurs avaient toujours un grand nombre de malles avec eux, et toutes étaient visibles des nombreux autres clients, c’est pourquoi ces affichettes offraient un support publicitaire important « montre-moi tes bagages et je te dirais que tu es ». Les hôteliers ont rapidement compris les avantages de cette publicité et des petites affichettes dédiées à la promotion des hôtels ont remplacé dans les années 1880 ces entêtes de factures colorées.
Voyage iconographique. Gaston-Louis Vuitton était parmi les plus grands collectionneurs d’étiquettes d’hôtels du XXe siècle, nous nous sommes donc permis de reprendre un de ses ouvrages dédié à cette passion, pour vous présenter un peu mieux ces petites « affichettes du voyage ».
« Voyage iconographique autour de ma Malle », écrit en 1920 par Gaston Louis Vuitton : « Ce bonheur, celui du vieux papiériste, vous l’auriez trouvé dans la salle des bagages. Je voudrais vous y conduire, vous y faire circuler au milieu des malles, caisses, paniers, valises, etc…, non pas pour rechercher un colis égaré, mais seulement pour examiner les papiers collés sur les bagages. »
Que trouve-t-on sur les vieux bagages? « On y retrouve l’empreinte des moyens de transport employés, des voyages réalisés, des séjours effectués, tout cela marqué en vieux papiers, en étiquettes : Ce sont d’abord des étiquettes de compagnie de chemin de fer portant le nom des points de départ et de destination, et le numéro d’enregistrement qui permettra, en principe, à l’arrivée de rentrer en possession des bagages confiés au transporteur.
Ensuite des étiquettes de trains spéciaux où la typographie sur un fond de couleur doit éveiller plus particulièrement l’attention de l’employé au service des bagages.
Puis des étiquettes de grands express internationaux ; elles sont généralement rectangulaires, coupées diagonalement par l’énoncé du parcours, laissant ainsi libres deux triangles le plus souvent aux couleurs des drapeaux, l’un du pays de départ, l’autre du pays d’arrivée. » On trouve aussi des étiquettes de
croisières, d’entreprise de transport des bagages des gares aux domiciles, des étiquettes de douanes, de transit, d’expéditeur, de garde meuble, store-room, etc., tous lieux où passaient les malles.
Enfin des étiquettes à bagages d’hôtels. Voici ce qu’on peut recueillir sur les malles usagées. Laissant de côté les premières de ces étiquettes, je me permettrais seulement de faire passer sous vos yeux, en les accompagnant de quelques commentaires, les étiquettes à bagages des hôtels. »
Volez, voguez, voyagez. De quand date l’affichette? La Maison Boutillier a édité ses premières vers 1890, tandis que la Maison Richter ne commence qu’en 1900. On retrouve dans la revue du Touring-Club de France d’octobre 1903, un article intitulé « Hôteliers, Touristes et Collectionneurs » ou l’auteur examine la publicité et la divise en deux : N° 1 La publicité générale, N° 2 La publicité intime.
Parmi les manifestations de laquelle il cite : La paperasse qu’on y retrouve sous forme de carte-adresses, menu, étiquettes (douloureuses), papier à lettre, etc… Le Tecefiste (Journal des Membres du Touring Club de France) N°100.639 ajoute : « L’étiquette encore que peu employée est souvent curieuse, et à quoi cela tient-t-il, grand Dieu ! Simplement au snobisme de certains Anglais ou Américains qui se font une gloire d’exhiber au retour de voyage leurs malles toute bariolées des étiquettes d’hôtel où ils sont passés ».
Des journalistes ont été frappé par certaines malles exceptionnellement couvertes d’affichettes et en ont donné des reproductions avec des articles énumérant les pays traversés.
Ainsi voici une malle partie le 8 juillet 1911 revenu le 25 juillet 1912 après avoir traversé l’Autriche, l’Allemagne, la France, l’Angleterre, l’Amérique, Hawaï, la Nouvelle-Zélande, l’Australie, les Philippines, Hong Kong, la Chine, la Corée, le Japon, la Sibérie et la Russie ; c’est un tour du monde complet.
L’article est publié par trois journaux différents en février 1913. Des Malletiers ont considéré que ces multiples papiers étaient un testimonial de la valeur de leurs produits et n’ont pas hésité à introduire dans leur catalogue une reproduction de malle ainsi habillée.
Trois types d’étiquettes :
– 1 : Affichettes typographiées avec ou sans recherche dans la composition et dans le coloris.
Ses étiquettes si elles influencent le voyageur, l’influenceront uniquement en faveur de l’hôtel, et l’influenceront-elle mêmes? Car elles ont l’air bien vieillot, bien minable auprès des resplendissante affichette en couleur.
– 2 : Affichettes illustrées par reproduction de photographies ou dessin. C’est déjà un progrès, mais elles ont encore un air désuet, de plus l’affichette doit être lisible à distance, et ce document trop fin travaillera seulement son texte, donc pour l’hôtel seul.
– 3 : Affichettes illustrées en couleur. Là nous atteignons la perfection, non pas que toutes celles de cette catégorie soit bonnes, mais du moins sont-elles susceptibles de l’être ? L’artiste dispose de la totalité des moyens d’action, et s’il veut tenir compte des règles de la publicité il est sûr du succès. Le lieu choisi, synthétiser autant que possible, pourra être présenté sous une large clarté lunaire ou sous un soleil resplendissant, nous pouvons assister au lever ou au coucher de l’astre radieux. Selon l’époque où le pays a sa plus grande vogue l’artiste nous présentera les claires luminosités du printemps, les verts de l’été, le roux de l’automne ou le gris de l’hiver. Doux ou violent, l’effet doit attirer l’attention, car c’est là ce qui est en avant tout rechercher.
Un langage secret. Dans les années 1900, tous les plus grands hôtels proposaient des étiquettes de ce type pour promouvoir leur établissement. Cette habitude permit aux bagagistes et grooms des différents palaces de créer un véritable « langage » du bagage, puisqu’en fonction de la position des étiquettes sur la malle, le personnel connaissait toute de suite la nature du client. Si le client était généreux, novice, désagréable… L’accueil immédiatement différent, puisque le personnel savait s’il aurait ou non un pourboire. Des petites indications à la craie sur les bagages du client pouvaient également annoncer certaines choses…
Sous toutes ses formes. Il n’y a aucun format spécial et un nombre illimité de formes : le carré, le rectangle, le losange, le rond, l’ovale et des formes spéciales allant de l’écusson jusqu’aux motifs découpés. La plus grande fantaisie règne, elle contribue à l’attrait de ces étiquettes.
Les clients. L’étiquette d’hôtel est une publicité ; publicité que l’hôtelier fait un peu au détriment, ou tout au moins aux frais de son client, mais que dit celui-ci ? Que dit le possesseur de la malle prise ainsi comme support, comme médium d’une publicité hôtelière?
D’aucuns se rebiffent, regimbent, ils vont jusqu’à menacer de supprimer tout pour boire, si on ne respecte pas leurs bagages. Ils sont une infime minorité tandis que la majorité, composée des indifférents, laisse faire. Lorsqu’il y aura pléthore, ils chargeront leur valet de chambre de procéder au nettoyage de la malle.
Les collectionneurs forment un groupe important, mais qui dit collectionneur dit aussi un peu, maniaque, donc sentiments personnels et forcément beaucoup de variantes. Celui-ci abandonnera au bagagistes le soin de coller les affichettes où il voudra, mais il interdira formellement à son malletier de toucher ses étiquettes lorsqu’il donnera sa malle à vérifier.
Il y a également les bagagistes qui souvent s’efforcent de masquer avec les étiquettes, celle d’un hôtel n’appartenant pas à leur groupe, le groupe du Ritz, du Carlton, des Ruhl, des Negresco…
Enfin, nous avons celui qui demande les affichettes et les glisse dans le rubanage de l’intérieur du couvercle de la malle, à chaque fois qu’il l’ouvre il en a le spectacle, c’est un dilettante et les affichettes restant ainsi intactes.
Exposition « Invitation au voyage » – avec les anciennes étiquettes d’hôtel du Maroc et du monde – du 29 octobre au 26 novembre 2022 à la Galerie Artingis.
ARTINGIS
11 rue Khalid Ibn Oualid (ex. rue Velázquez)
Tanger – Maroc