Yamou, un chasseur de fragments d'univers. | LE web magazine de Tanger

L’institut Français de Tanger organise à la Galerie Delacroix une exposition intitulée: « ESSENTIEL PAYSAGE » de l’artiste Abderrahim Yamou du 14 décembre 2024 au 15 janvier 2025.

Abderrahim Yamou est né en 1959 à Casablanca.
Il vit et travaille à Paris et à Tahannaout au Maroc.

Dans le jeu des formes et des textures, Abderrahim Yamou capture des fragments d’un univers suspendu entre fragilité et harmonie, des moments où l’éphémère semble effleurer l’intemporel. Les huiles sur toile, avec leurs textures riches, les dessins à la mine de plomb, empreints de finesse, et les sculptures vivantes, vibrantes de naturalité, révèlent l’exploration constante de l’artiste : celle des connexions subtiles entre le monde végétal et le regard humain, entre ce qui se voit et ce qui se devine.

Chaque œuvre, qu’elle soit peinture, sculpture ou dessin, semble habiter d’un souffle intérieur, d’une vie propre. Les séries récentes, telles que Vue en braille et les fascinants Jardins autonomes, traduisent une démarche presque magique, où l’essence des éléments naturels est sublimée en poésie visuelle. Yamou transcende ainsi les frontières, mêlant art, science et nature dans une quête de l’essentiel.

Dans ses Jardins autonomes, la dynamique de l’eau, la vitalité des plantes et la précision des dispositifs techniques se rencontrent pour donner naissance à des écosystèmes autonomes, véritables allégories d’un équilibre écologique à préserver. Les dessins comme La promenade ou Trois troncs convoquent la mémoire des paysages, tandis que ses peintures monumentales invitent à une réflexion sur l’espace et le passage du temps.

Abderrahim Yamou ne se limite pas à figurer la nature : il en révèle l’âme. À travers ses œuvres, il nous invite à observer autrement, à entendre les échos silencieux de la matière et à percevoir les cycles discrets qui relient le tangible à l’invisible. Son travail s’inscrit dans une vision contemporaine où l’art devient un outil de réconciliation avec le vivant, une manière d’éveiller notre sensibilité au fragile équilibre de notre monde.

Cette exposition est une ode à l’émerveillement, une immersion dans un univers où la vie et l’art se fondent en une harmonie profonde.

Abderrahim YAMOU

Abderrahim Yamou est animé d’un profond désir de nature depuis toujours et se tourne vers elle pour trouver l’inspiration, la matière et une voix pour exprimer sa préoccupation face aux défis environnementaux auxquels nous sommes confrontés.

Il faut rappeler qu’avant d’embrasser une carrière artistique, Yamou a entrepris des études de biologie à Toulouse en 1978 où il a appréhendé le monde du vivant et les lois de la vie. Cela va influer sur son processus créatif lorsqu’il décidera de se consacrer à l’art.

Yamou s’installe dans la banlieue parisienne en 1986 dans un environnement urbain dépourvu de végétation, ce qui suscite en lui un besoin profond de renouer avec la nature en partant de ses acquis scientifiques et en se fiant à son imagination fertile.

Il commence par peindre des tableaux imprégnés d’un vocabulaire formel inspiré de la biologie tel que les organismes cellulaires, les mitochondries ou les molécules, pour raconter à sa manière le vivant et son lien avec la nature. Cette approche microscopique lui permet de représenter les plus petits organismes vivants en leur conférant des allures grandioses, tel un univers cosmique.

Désirant s’immerger dans la nature, Yamou s’installe à Tahannaout, aux pieds de l’Atlas, aux environs de Marrakech, en 2005. Il y construit une maison-atelier et aménage un jardin.

Dès lors, l’artiste « travaille dans la nature et sur la nature », comme il se plaît à le dire. Il y contemple le paysage et observe de près les plantes qui naissent, fleurissent, libèrent des graines et meurent au cours de leur processus cyclique. Cette communion avec la nature permet à Yamou de faire rimer art avec écologie à travers des compositions qui allient recherche esthétique et énergie vitale.

L’actuelle exposition de Yamou, à la galerie Delacroix à Tanger, vient à point nommé pour mieux appréhender la richesse d’une œuvre multiforme et la trajectoire rigoureuse d’un artiste qui demeure fidèle à son engagement envers la nature depuis plus de trois décennies.

À travers une scénographie répartie en trois séquences, cette exposition invite à nous acheminer progressivement dans l’univers artistique et les préoccupations de Yamou.

Cécité

D’emblée, Yamou nous alerte sur la cécité des humains face à l’urgence environnementale et au risque de compromettre la capacité des générations futures à apprécier la nature. Il recourt à la métaphore en exposant de grands dessins en noir et blanc, représentant des non-voyants qui, malgré leur handicap, explorent et savourent la nature qui peut aussi s’entendre, se sentir et se toucher.

Sublimation de la nature

Ensuite, Yamou nous introduit dans ses paysages à travers des « fenêtres » qui leur procurent une certaine profondeur de champ et leur confèrent une vision poétique. Des paysages imaginaires, plus suggestifs que descriptifs, dépeints de façon minutieuse et grandiose, et donnant souvent une place de choix au ciel et à ses variations. Des paysages qui invitent à la délectation et qui suscitent une réflexion sur la nécessité de les préserver afin de conserver leur beauté et leur biodiversité.

État d’urgence

Enfin, Yamou nous invite à partager avec lui ses réflexions et ses expériences sur la vie et la mort des plantes, élaborées dans son atelier-laboratoire. Il y conçoit des sculptures sur troncs d’arbre, recouvertes en partie de clous et surmontées de réceptacles accueillant de la terre ensemencée, de telle manière que les plantes vont pousser, prospérer puis dépérir.

Il conçoit d’autres sculptures-plantes permettant l’observation de leur cycle de vie en toute autonomie et économie de moyens. Par l’association des pratiques artistiques avec les pratiques scientifiques, Yamou nous offre un beau témoignage d’une culture de la durabilité.

Abderrahim Yamou contribue ainsi au renouvellement des représentations et pratiques artistiques à partir de la réflexion écologique et s’engage d’une manière créative sur les défis du xxi^e siècle.

Brahim Alaoui – Historien de l’art et commissaire d’exposition

Vernissage en présence de l’artiste, samedi 14 décembre à 19h30 à la galerie Delacroix de l’Institut français – Tanger