Marie-Louise Belarbi s’en est allée le 28 mai dernier à l’âge de 91 ans à Tanger. Je connaissais cette personne de nom, une grande figure du monde littéraire marocain, cofondatrice des éditions Tarik et de l’emblématique librairie Carrefour des livres à Casablanca. Ismaël Amiar, son petit fils, nous fait découvrir avec émotion sa merveilleuse grand mère. Une autre facette de cette grande dame très engagée. PB
Marie-Louise n’était pas seulement ma grand-mère. Elle était la meilleure grand-mère dont on puisse rêver. Elle m’a transmis le goût de la lecture et de la langue française. Elle m’a aussi transmis un peu plus tard, ou peut-être en même temps au désespoir de mes parents, celui du pastis et des bons mots. S’il n’y avait que ça, elle serait déjà la meilleure des grands-mères : mais il n’y a pas que ça, et cet héritage est aussi très important pour ma famille et moi.
A l’âge de 71 ans, Mamie fonde à Casablanca Tarik Editions et sera la première à publier au Maroc les écrits des prisonniers politiques des années de plomb. En 1999 est publié « On affame bien les rats », bande dessinée d’Abdelaziz Mouride qui témoigne de ses 22 années passées sous la torture dans les geôles marocaines pour opposition au régime. Suivra en 2001 « Tazmamart, Cellule 10 », du nom du bagne-mouroir où Ahmed Marzouki passa 18 années dans une cellule de 2 mètres sur 3, entouré de codétenus décédant les uns après les autres. La même année sortira, plus explicite, « Hassan II : Une espérance brisée (1961-1999) » par Ignace Dalle. Ces tristes mais nécessaires best-sellers ont contribué à leur échelle à dévoiler et entretenir la mémoire de ces pans sombres de l’histoire politique de mon Maroc et de les protéger de ce qu’il y a de pire pour leurs victimes : l’oubli.
Lors de ses nombreuses vies, Mamie a publié un joli roman, « Ligne Brisée » (Zellige, 2013) et a été une libraire émérite. Le Carrefour des Livres, qui existe toujours et se porte bien depuis 1984 m’a permis enfant d’engloutir à un rythme industriel les BD du rayon jeunesse et d’obtenir, suprême privilège, le dernier Harry Potter quelques jours avant sa sortie officielle. Le Carrefour était aussi, comme son nom l’indique (c’était probablement voulu), un point de rencontre, d’échanges et de débat unique à une époque pas si lointaine où il pouvait être mortel d’émettre une opinion dissonante. Mamie recevait beaucoup d’auteurs pour des signatures : Marocains, Français, étrangers, primés ou non, connus ou non. Bref, ça défilait. Certains lui ont rendu hommage, comme Abdellah Taïa, écrivain marocain et militant LGBTQ encouragé par ma grand-mère à ses tout débuts. En 1953, travaillant chez Julliard, c’est Sagan et Bonjour Tristesse qu’elle avait découvert, quelques temps avant de mettre les voiles pour le Maroc et mon grand-père.
Son engagement pour la démocratisation de la culture et de la littérature maghrébine est plus vivant que jamais, puisque la dernière édition du Maghreb des Livres qu’elle a cofondé a eu lieu à l’Hôtel de Ville de Paris en février dernier. Quelques heures avant le décès de ma grand-mère, ma mère Mounia reçut une photo de Guy Bedos et ma grand-mère, tout sourires, lors d’une invitation à Casablanca qu’il avait accepté. Ils sont partis le même jour.
Mais les témoignages les plus touchants sont ceux des gens que nous ne connaissions pas. Je pense à tous ces commentaires Facebook, e-mails ou Whatsapp d’inconnus reçus par ma famille qui évoquent le jour où, prof de français au collège à son arrivée au Maroc, elle marque la scolarité d’un élève, ou un autre jour, libraire, elle prend le temps de conseiller un livre qui suivra son lecteur pour le restant de sa vie.
Merci Mamie pour ce modèle de vie que tu nous a donné, une vie pleine de sens, d’engagement, et d’amour. Ça va être difficile de faire aussi bien.
Ton petit-fils Ismaël.