La Comédie de Tanger est accueillie à Bruxelles du 15 au 17 février à l’Espace Magh, six comédiennes de Tanger porteront les voix de femmes détenues dans « Tous mes rêves partent de la gare d’Austerlitz », un spectacle qui brise les tabous et réveille les consciences. Un bel article de RTBF leur rend hommage.
Le vécu des femmes en prison mis en avant dans une pièce de théâtre.
Dans nos sociétés, le vécu des femmes emprisonnées reste trop souvent silencié. La pièce « Tous mes rêves partent de la gare d’Austerlitz » lève le voile. « C’est un sujet qui n’a jamais été abordé à l’Espace Magh. Rendre compte de la réalité des femmes en prison, c’est important », introduit Dounia El Ouardi, chargée de communication du centre culturel.
Un texte fort, des réalités tues.
La pièce écrite par Mohamed Kacimi se déroule un soir de Noël. Dans la bibliothèque, Barbara, Rosa, Marylou, Zélie et Lily se retrouvent pour oublier le temps d’un instant leur quotidien carcéral. Dans ce lieu de sororité, de connaissance et d’échappées, les langues se délient. Les femmes parlent, racontent, les violences, les absences. Pour ne pas sombrer, ensemble, elles jouent et font appel au théâtre. Grâce à l’arrivée de Frida, qui vient d’être incarcérée, elles montent On ne badine pas avec l’amour de Musset… Un texte qui entre en échos avec leurs propres vécus.
Ce sont six comédiennes de la Comédie de Tanger qui portent le spectacle. Parmi elles : Aurore Laloux, une Belge qui vit au Maroc depuis huit ans. « C’est un défi parce que le texte est très fort. On aborde des thèmes assez durs. Pour nous, c’est important de faire passer des messages engagés« , explique-t-elle. À la première lecture, elle livre avoir ressenti un sentiment d’injustice.
Le sujet des femmes incarcérées reste tabou, sans cette pièce, je ne pense pas que je me serais posé autant de questions sur la réalité des femmes en prison…
« La pièce offre la perspective de femmes qui ont agi par autodéfense et qui sont jugées par des hommes. La bibliothèque est leur refuge. En jouant On ne badine pas avec l’amour, elles comprennent que le texte résonne avec ce qu’elles ont au fond d’elles-mêmes par rapport à l’amour, à la vie, à leur propre histoire, aux violences commises par les hommes dont elles ont été victimes… », éclaire la comédienne.
Jouer le réel et ouvrir l’imaginaire.
À travers cette pièce, Aurore Laloux affirme avoir l’impression « de pouvoir dire ce que les femmes incarcérées ne peuvent pas dire ». Le texte est en effet inspiré des témoignages directs. L’auteur Mohamed Kacimi a mené des ateliers d’écriture dans la bibliothèque de la maison d’arrêt des femmes de Fleury-Mérogis. « Les ‘filles’, comme elles s’appellent toujours, arrivent fatiguées de leur travail dans les ateliers. Pour écrire, le réel, il faut être à un pas, à côté de la réalité. Écrire ici, c’est creuser un chemin de traverse. Là, j’ai découvert, pour la première fois, la force inouïe des femmes face à l’adversité », a-t-il partagé.
Enfermées dans un lieu conçu par et pour des hommes, les femmes constituent un public vulnérable et invisibilisé en prison
Outre les violences, Tous mes rêves partent de la gare d’Austerlitz aborde la question de la grande solitude des femmes incarcérées. Kacimi marque la différence avec les hommes qui reçoivent des visites, tandis que les femmes beaucoup moins. « Quand tu passes la porte de cette maison, tu n’es plus rien pour personne, tu n’es plus qu’un simple courant d’air », prononce l’une des femmes, ajoute Aurore Laloux. Cette solitude spécifique est en effet observée par les acteur·trices de terrain. « [Les femmes, NDLR] se retrouvent plus souvent seules face à la détention, car à leur entrée en prison, elles sont plus fréquemment abandonnées par leur partenaire que l’inverse. Les complications liées à leur libération sont renforcées par une stigmatisation accrue de leur passé judiciaire. Leurs liens sociaux sont donc plus fragiles que ceux des hommes, et leur soutien social moins grand en prison et à leur sortie », soulève l’article « Prisons : une invisibilisation genrée » de Justine Bolssens.
S’il s’inspire du réel, le spectacle revient aussi sur le pouvoir de l’imaginaire et la force du collectif. « Les détenues s’emparent de la pièce de Musset. Pour nous, il est majeur de rappeler l’importance de l’imaginaire, de la culture pour sortir de certaines réalités complexes », avance Dounia El Ouardi.
Ouvrir les yeux du public.
La pièce est inspirée de témoignages français, elle est jouée par une troupe marocaine et présentée à Bruxelles. Un projet international qui prouve que l’invisibilisation des femmes incarcérées est ancrée dans de nombreuses sociétés patriarcales.
En Belgique, il y aurait environ 500 femmes dans les prisons, ce qui représente 4 à 5% de la population carcérale. « Enfermées dans un lieu conçu par et pour des hommes, les femmes constituent un public vulnérable et invisibilisé en prison. Leur prise en charge est défaillante, notamment faute de données suffisantes quant à leurs besoins sexo-spécifiques (en termes d’hygiène, de santé mentale, d’accompagnement face aux parcours de vie très souvent marqués par la violence, de santé sexuelle et reproductive, de maternité et de gestion des enfants, etc.), lesquels ne sont d’ailleurs pas ou très peu objectivés », rappelle l’asbl I.Care.
« Avec la pièce on ouvre une petite fenêtre et puis elle se referme et on les laisse. Le sujet des femmes incarcérées reste tabou, sans cette pièce, je ne pense pas que je me serais posé autant de questions sur la réalité des femmes en prison… Espérons que ça ouvre les yeux du public à Tanger comme à Bruxelles ! », conclut Aurore Laloux.
Infos pratiques :
Le spectacle Tous mes rêves partent de la gare d’Austerlitz du 15 au 17 février à l’Espace Magh.
Pour découvrir l’Espace Magh de Bruxelles : https://www.espacemagh.be/
Si vous souhaitez contacter l’équipe des Grenades, vous pouvez envoyer un mail à : lesgrenades@rtbf.be
Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.