Au Maroc, Nabila Mounib veut incarner une « troisième voie »

L’arrivée de Nabila Mounib sur la scène politique marocaine à l’occasion des législatives du 7 octobre sous la bannière du PSU pourrait rebrasser les cartes et revoir la donne vis à vis du PJD et du Pam…

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Elle est arrivée en retard mais tout sourires, et à bord d’une Volvo rutilante pour rencontrer, au siège de la Bourse de Casablanca, les anciens de Sciences Po et de Centrale-Supélec. C’est bien la preuve que Nabila Mounib, secrétaire générale du Parti socialiste unifié (PSU), n’est pas une personnalité de gauche comme les autres.
Ce jeudi 22 septembre, la « pasionaria de la nouvelle gauche marocaine » – dixit Medias24 – rencontre une partie de l’élite économique. Beaucoup découvrent un discours politique et un style qui, à défaut de toujours les convaincre, semblent les séduire. « Elle est déterminée et donne le sentiment d’être très préparée. Elle sait ce qu’elle veut », commente Hanane Cherkaoui, 33 ans, docteure en administration publique, qui regrette seulement que l’oratrice du jour n’ait pas « plus détaillé sa vision des politiques publiques ».

Durant une heure et demie de débats, la secrétaire générale du PSU a surtout martelé son principal mot d’ordre : une monarchie parlementaire tout de suite ! « Le Maroc, explique-t-elle, doit sortir de l’antichambre de la démocratie », ce qui passe par un « nouveau pacte politique ». Comprenez : par une nouvelle Constitution.

En 2011, le PSU avait soutenu sans équivoque le Mouvement du 20-Février, né dans le sillage des soulèvements en Tunisie et en Egypte. « La seule façon de concilier monarchie et démocratie est d’adopter une monarchie parlementaire. C’était la revendication centrale du mouvement du 20-Février, qui a été étouffé dans l’œuf », accuse Nabila Mounib.

A Casablanca, par exemple, les locaux du parti étaient ouverts aux assemblées générales turbulentes et interminables des jeunes militants. Cette même année, le PSU avait refusé de rencontrer la commission consultative nommée par Mohammed VI visant, notamment, à réformer la Constitution. Le PSU avait dans la foulée appelé à boycotter le référendum organisé en juillet 2011.

Mission diplomatique en Suède
L’engagement politique de Nabila Mounib vient de loin. Professeure universitaire et docteure en endocrinologie, elle a dirigé le SneSup, le syndicat de l’enseignement supérieur. Au sein de ce bastion de l’extrême gauche marocaine, elle a poursuivi son engagement féministe. L’aura de Mme Mounib s’explique tant par ses qualités propres que par le respect dont jouit la gauche marocaine. En janvier 2012, ses camarades du PSU l’ont élue à leur tête. Héritière de la gauche révolutionnaire durement réprimée sous Hassan II, cette formation est aujourd’hui alliée à deux autres partis de gauche pour former la Fédération de la gauche démocratique (FGD).

Si Nabila Mounib, aujourd’hui 56 ans, préside la liste nationale de la FGD, c’est parce qu’elle est devenue en quelques années une figure médiatique et populaire. Le PSU avait boycotté les dernières législatives en 2011, mais présente aujourd’hui des listes dans 90 des 92 circonscriptions locales. « Nabila est notre marque, s’enthousiasme Naima Lahlou, une des bénévoles de la campagne de la fédération de gauche dans le quartier de l’Océan, à Rabat. Quand nous faisons du porte-à-porte, les gens la reconnaissent et nous encouragent. » Sa campagne de terrain, débutée à Marrakech, et qu’elle poursuit ces jours-ci dans les régions du Grand Est marocain, semble marquer des points. Et cela alors que Nabila Mounib a acquis récemment une stature nationale, dans une affaire très sensible au Maroc.

En octobre 2015, c’est à elle que le palais, alors en pleine crise diplomatique avec la Suède, demande de mener une délégation officielle à Stockholm pour expliquer la position marocaine sur le Sahara occidental, après l’annonce d’un projet de loi suédois visant à reconnaître la République sahraouie. Sa mission de quatre jours, début novembre, sera un succès : Stockholm renonce en janvier à reconnaître l’indépendance du Sahara occidental. A Rabat, la force de persuasion de Nabila Mounib a convaincu le palais de faire appel à de nouveaux profils comme ambassadeurs du royaume : des militants des droits humains, des représentants de la société civile et d’anciennes personnalités de gauche ont ainsi rejoint la diplomatie marocaine.

« Analphabètes »
Au risque d’être taxée d’élitiste, Nabila Mounib, connue pour son franc-parler, avance une autre raison de briguer les suffrages des Marocains : « Les analphabètes n’ont rien à faire au Parlement », a-t-elle déclaré en référence au faible niveau d’études de certains parlementaires. La riposte n’a pas tardé. Depuis qu’elle est devenue une figure politique nationale, certains s’attardent sur sa tenue vestimentaire, ses goûts prétendument luxueux. Un ancien ministre qui se présentait contre elle aux communales de 2015 s’était laissé aller à la moquer, s’attirant une volée de bois vert de la part des médias locaux.

L’intéressée ne s’agace même plus de tant de machisme : « Nous sommes encore prisonniers d’un système patriarcal », explique-t-elle, préférant réserver ses flèches aux principaux partis politiques du pays. Nabila Mounib refuse le « scénario écrit à l’avance » du bipolarisme entre islamistes et libéraux, un raccourci qu’elle juge « non conforme à la réalité politique ».

Le soutien de cent personnalités
« Nous refusons d’être pris entre l’enclume et le marteau », tempête-t-elle, renvoyant dos-à-dos le Parti de la justice et du développement (PJD) – « il défend un projet de société réactionnaire. Si le chef du gouvernement n’a pas les mains libres, pourquoi ne démissionne-t-il pas ? » – et le Parti authenticité et modernité (PAM), qui « ne propose rien. Un parti créé par l’administration, prétendument moderniste mais qui n’est pas prêt à combattre la corruption, ni aujourd’hui, ni dans soixante ans ». Sa conviction est qu’une troisième voie, fût-elle étroite, existe. Ou pour copier le slogan du FGD, qu’« un autre Maroc est possible »,

Quelques jours avant le début de la campagne, cent personnalités ont lancé un appel en faveur de Nabila Mounib. Coordonnée par Abdellah Hammoudi, anthropologue à l’université américaine de Princeton (New Jersey), la pétition est signée par des universitaires, des acteurs de la société civile, des artistes, parmi lesquels l’avocat Abderrahim Jamai, l’ancien détenu de Tazmamart Ahmed Marzouki, les écrivains Mohammed Bennis et Mohammed Berrada, le militant berbériste Ahmed Assid, et de nombreux jeunes du 20-Février. Un signal encourageant mais il faudra bien davantage de sympathisants pour attendre l’objectif des 300 000 voix que s’est fixé la Fédération de la gauche démocratique.

Youssef Ait Akdim Contributeur Le Monde Afrique, Rabat

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