L’écrivain nous parle de son amitié avec « la grande sauterelle », décédée lundi à l’âge de 79 ans. Une longue histoire qui s’est forgée au Maroc, à Tanger en particulier et aussi à Marrakech. Bien que marquée par de nombreux accidents de santé, elle nous laisse une belle leçon de vie.
Rares sont les stars qui vous donnent leur amitié. Je n’ai jamais attendu d’un comédien ou d’une grande actrice qu’il m’est arrivé de rencontrer de cultiver avec eux une relation d’amitié vraie, sincère.
Mireille était à part. Quand nous nous sommes connus à Tanger au début des années 2000, dans la maison d’un autre grand ami, Jean-Louis Scherrer, je savais que c’était une personne de qualité. Les nombreux films populaires et merveilleux qu’elle avait tournés ne la classaient pas dans la catégorie de stars avec des caprices, manies, superficialité. Elle était Mireille, douce et curieuse de tout, heureuse et ouverte sur le monde et les autres.
Je lui avais servi de guide pour lui présenter ma ville, Tanger, sa médina, ses marchés, ses mythes et ses charmes étranges. Ensuite, Bernard Montiel m’a demandé d’accompagner Mireille à Marrakech. Une équipe nous filmait découvrant cette ville. Il fallait la lui présenter, non en guide touristique, mais en ami qui veut lui montrer son pays, sa culture traditionnelle, sa cuisine classique et moderne. Ce fut une belle expérience et un film sympathique, mais le plus important est que notre lien s’était renforcé, devenu amical, vraiment, fraternel. Nous nous échangions nos lectures, nos découvertes.
Son amour pour le Maroc était sincère et profond. C’était une dame qui cultivait la qualité d’être au présent, la simplicité sans ignorer la complexité des relations humaines.
Avec le temps est arrivé le moment des confidences, le temps de relater quelques blessures, sans appuyer sur les traces, sans insister sur la banalité du temps qui passe et nous oublie dans un champ planté de miroirs qui nous renvoient notre image sans fard, sans précaution.
Elle essayait de m’initier à une hygiène de vie dont elle faisait sa loi, m’expliquait ce qu’il fallait éviter aussi bien dans la cuisine marocaine que française.
Puis elle partageait sa passion de la photographie et du documentaire. Elle enquêtait sur l’humain blessé ou frappé d’injustice. Nous cherchions ensemble le titre d’un film ou d’une pièce.
Ce fut toujours avec élégance et discrétion qu’elle évoquait sa vie avec Alain Delon. Elle en parlait avec tendresse, avec amour, parfois avec quelque indulgence.
Depuis quelques années, son mari Pascal, grand architecte, était en train de lui construire une superbe maison dans la casbah de Tanger, face à la mer. Elle rêvait de cette maison située dans un quartier populaire, à une centaine de mètres de la grande maison d’Yves Saint Laurent et aussi de ma petite maison d’enfance à côté de l’hôpital Al Kortobi. Je lui racontais mon adolescence dans cette maison qui ressemblait à une barque qui penchait de plus en plus vers la mer. Je lui disais ma passion du cinéma, notamment du cinéma populaire et sans prétention où elle évoluait. Elle prenait les choses avec légèreté, avec le sourire, car elle n’avait pas beaucoup d’illusions sur l’humanité en général.
Puis, quand elle était de très bonne humeur, je lui demandais de me raconter les tournages avec Lino Ventura, Francis Blanche, Bernard Blier, Louis de Funès, etc. Elle me disait toujours qu’elle se sentait comme une petite fille perdue dans un clan de mecs qui cherchaient à la protéger.Aujourd’hui que son courage a été vaincu, elle m’apparaît belle et souriante, vive et discrète, modeste et généreuse, une amitié pleine et forte avec, en plus, une lumière émanant de sa présence et qu’elle déposait autour d’elle partout où elle allait.
Tahar Ben Jelloun – Le Point